10. La vérité comme Alètheia.
Notre concept de « vérité » provient du latin veritas, qui signifie : « Ce à quoi l'esprit peut et doit donner son consentement. » En revanche, dans la Grèce antique, ce mot était utilisé comme Alètheia, qui, déconstruit étymologiquement, se compose d'un préfixe à valeur privative -a- et d'une racine -leth- que l'on retrouve dans le verbe qui signifie « être, ou rester caché, inconnu, ignoré, échappé à… » ainsi que dans le mot léthè : L'oubli.
La possibilité de déplacer le mot « vérité » en tant qu'idée dogmatique et objective est faisable sans grand effort, car la notion de « non-oubli » chez les Grecs peut être facilement conçue comme subjective et, par conséquent, on parle de « prise de conscience » qui est progressive, non binaire ni absolutiste.
« Dans le royaume de la connaissance elle-même, il existe un péché originel, qui est d'avoir une origine ; c'est manquer à la gloire d'être intemporel, c'est ne pas attendre du monde obscur le lion de lumière. »
Nous apprenons à parler pendant toute une vie. La compréhension de notre propre monde perceptif, avec toutes ses classes d'états et de changements, est la découverte du sujet que nous sommes. Nous cachons une énigme qui, à son tour, ne se prive pas du plaisir du mouvement. Il n'y a donc pas de réponses absolues, mais des tentatives qui nous mettent nous-mêmes en mouvement.
Cependant, j'observe une volonté, si ce n'est une prétention, d'organiser les savoirs comme des objets inaltérables en dehors de l'expérience, où chaque altération due aux différentes perceptions menacerait la stabilité du savoir au lieu de l'enrichir. Une « bonne » pensée qui tente de vérifier et de valider chacune de nos réflexions, qui, normalisée, se diffuse à travers des rapports autoritaires et qui, par son poids, conduit à l'autocensure sur la pertinence de nos pensées. Nous avons peur de l'erreur.
Nous pouvons bien critiquer le fait d'être victimes d'une certaine objectivité, étrangère à nous, qui abaisse nos idées et ridiculise nos actions les plus sincères. Mais ce sentiment d'objectivité est subjectif et, par conséquent, peut se dissoudre à l'aide de ce concept que nous parcourons ensemble. J'observe ce comportement chez chacun de nous ; chaque victime est à son tour bourreau, car s'identifier à la stabilité des savoirs est compréhensible dans un contexte où la normalisation d'une pensée technique nous mesure constamment, mesure notre valeur culturelle et sociale, et crée une hiérarchie des savoirs ; nous sommes des juges qui se sentent jugés.
Évidemment, je ne fais ici que partager ma perspective. Le courant de ma pensée changera au fil de ma vie. Je crée simplement une balise dans le temps. Je n'ai donc pas l'ambition de convaincre, seulement de faire des observations sincères.
Comment réfléchir avec la peur de se tromper ? La vérité devient taboue lorsque nous nous y identifions. Autant les scientifiques que les religieux, les de droite ou les de gauche, partagent le même problème : ils croient tous avoir raison, et beaucoup d'entre nous sont coincés dans ce schéma. Nous croyons avoir raison parce que nous raisonnons, et nous passons toute notre vie à construire notre propre cohérence, souvent entourés de personnes qui sont d'accord avec nous dès le départ. La généralisation simplifie le problème, car lorsque nous croyons posséder la vérité, comme si c'était un bien, nous la considérons immuable et objective. De là naît le fanatisme, source de tout type de conflit. Souvent, nous évitons d'écouter tous ceux qui remettent en question nos intérêts, nos idéaux ou nos actions. Nous nous sentons démunis dans le conflit et, en raison de cette situation, nous nous isolons dans nos groupes et construisons des frontières, toutes justifiées par notre raison. Le monde d'autrui est rapidement perçu comme une menace. Deux personnes qui sont d'accord construisent généralement un monologue à deux, en se donnant des tapes dans le dos. Il est rare que nous réfléchissions avec ceux qui sont en désaccord avec nous, toujours sur la défensive.
Si nous parvenons à comprendre que chaque personne a raison à sa manière et que chaque sujet est un monde de cohérence organisée autour d'une perception donnée, nous pourrons commencer à créer une cohérence collective à travers l'écoute et l'échange de nos différents points de vue. Cette théorie est une provocation pratique qui dans la vie de tous les jours ouvre le champ des possibilités dans un cheminement vers le concept d'*epokhé* ou la suspension du jugement comme état d'esprit.
Ce n'est pas que je ne fais pas confiance à l'humanité, mais il me semble que douter est un signe de bonne santé. J'ai observé il n'y a pas si longtemps que ces « vérités universelles » ont été validées par des autorités spécialisées, dans des domaines précis, par certaines personnes (souvent des hommes blancs nord-occidentaux), quelque part, qui auraient fait des expériences que j'ignore avec des moyens qui nous échappent. Je devrais pouvoir, de manière tout à fait sereine, douter de cette information. Et si elle est si évidente, personne ne devrait s'inquiéter d'un éventuel « sacrilège », comme la provocation de l'enfant qui teste le monde pour comprendre. Encore moins devrait-il se sentir attaqué par mon « pourquoi » enfantin. Étant donné sa solidité, cette vérité devrait pouvoir être vérifiée de diverses manières. Même si pour moi ce n'est qu'une hypothèse dans le présent, je serais tout à fait capable de croire à l'expérience d'un autre.
J'ose dire, alors, que dans les cas où je n'ai pas vérifié un savoir, je crois que l'information est vraie, et ce n'est pas grave, car je peux faire confiance à l'expérience d'un autre si elle me semble cohérente. Mais soyons clairs, au mieux, je crois savoir.
Nous sommes conscients que nous ne pouvons pas vérifier l'ensemble des expériences faites par l'humanité tout au long de son histoire. Mais le problème fondamental de cette croyance du savoir est son manque d'humilité et son étiquette de « vérité universelle ». Ces vérités universelles créent la morale, un savoir validé par des universités nord-occidentales qui construisent une humanité « bien-pensante », une seule humanité « bien-pensante », civilisée et ordonnée selon ce que nous sommes censés considérer comme normal. Se décrit donc une énorme institution qui, à travers les académiciens, les académies et l'ensemble des instances officielles, est devenue le juge suprême de tout savoir, de toute forme de transmission de savoir, et qui, avec l'idéalisation de la théorie, fait obstacle à toute expérimentation pratique qui n'est pas autorisée ou encadrée. Une formation morale dans laquelle l'humanité « bien-pensante » fait connaître sa pensée, ses convictions et ses raisonnements pour convaincre les autres de leur validité et obtenir leur accord. Nous devenons des porteurs de vérités et le savoir s'imagine hors du corps. Celui des minorités est donc tourné en ridicule et attend d'être validé par les instances compétentes pour être considéré comme « vrai ».
Le geste du savoir qui habite le corps devient prétentieux et représente un acte de résistance. Nous subissons toujours le même geste, acte de colons où « une humanité éclairée devait aller à la rencontre d'une humanité restée dans l'obscurité sauvage, pour l'irradier de ses lumières. [...] justifié par le postulat qu'il n'existe qu'une seule façon d'être ici sur Terre. »
On pourrait dire, alors — et même se tromper en le disant —, que le savoir découle de l'expérience vécue. Bien qu'il soit variable et limité, il reste pertinent pour le sujet qui découvre l'évidence de cette vérité ; une vérité qui n'est ni objective ni fixe, mais subjective et en mouvement, perméable aux échanges avec d'autres évidences, des dialogues non identitaires qui ouvrent le champ des possibilités.
« Si nous adhérons au point de vue solide du constructionnisme social, il n'y a aucune raison de se laisser intimider par les descriptions que font les scientifiques de leur activité et de leurs réalisations ; eux et leurs sponsors ont tout intérêt à nous tromper. [...] Les constructionnistes sociaux expliquent que les idéologies officielles sur l'objectivité et la méthode scientifique sont un très mauvais guide pour comprendre comment les connaissances scientifiques sont réellement fabriquées. » « Le socioconstructivisme défend que l'individu construit ses connaissances à travers l'expérimentation et la découverte. Cependant, cette approche met un accent plus important sur l'importance de l'environnement social et culturel dans l'apprentissage. Si la construction d'un savoir est personnelle, celle-ci se déroule, cependant, dans un cadre social. En effet, l'individu n'est pas seul, il est entouré d'autres personnes qui ont un impact sur lui et sur son développement. Pour Doise et Mugny, la connaissance est justement le résultat d'une confrontation de points de vue. »
Pour ne pas oublier : L'émerveillement et la curiosité sensibilisent nos grilles de lecture et adaptent le monde à nos besoins créatifs, aiguisant ainsi nos sens pour écouter des détails de plus en plus subtils.
10. La vérité comme Alètheia.